C’était au cœur de l’été. Trois citadines devisaient paisiblement, en fin de journée, devant leur porte, espérant trouver un peu de fraîcheur. Un petit air coulis gambadait de temps en temps et soulageait un peu de la canicule. Debout au milieu de cette ruelle, guettant le brin de vent, les dames en profitaient pour admirer les plantes et papotaient tranquillement.
Et l’une d’elles s’aperçut de la présence soudaine du chat, tout au bout de la rue, là où les voitures vont assez vite. Allongé à même le bitume chaud, presque aplati, immobile.
Les questions fusent : le reconnaissez-vous ? Il ne me dit rien celui-là, peut-être vient-il d’une rue plus loin ?
Petit à petit, nos dames s’approchent doucement et sans se concerter, l’une d’elles va chercher un petit bol de croquettes et un sachet. L’autre s’avance en parlant doucement et la troisième sort une boîte de transport. Le minet se lève et là, les dégâts deviennent évidents : il est famélique, la peau sur les os. Et pourtant, il vient en miaulant, prudemment. Et trouvant que bien du monde s’occupe de lui soudainement, il bat en retraite et se cache sous une voiture garée. Bon, il n’est pas très sociable, le piège sera plus adapté. On sort le matériel, on rejoint la voisine qui est restée pas loin du chat pour savoir où il est. Piège armé, chat sous la voiture, les bénévoles presque improvisées vont un peu plus loin pour le laisser entrer tranquille dans le piège. Moins de cinq minutes ont été nécessaires, Ötzi était capturé.
En quarantaine dans sa boîte de transport à chien, Ötzi nous a appris énormément de lui. Le S nous a dit qu’il avait été stérilisé par une association, mais le lecteur de puce électronique est resté muet : il n’était à personne. Aucune famille ne l’attendait…
Sa bouche douloureuse, son état de maigreur, ses gencives totalement blanches… Nous n’avions aucune idée de son âge, mais une chose était sûre : il était au bout du rouleau.
Par dessus le marché, il y avait une énorme croûte sur son cou, dont le poil repoussait tout juste. On vous passe les détails sur son système digestif.
Pendant trois jours, nous avons tenté de voir s’il récupérait un peu, s’il mangeait normalement, s’il était sociable… Soulagé par des médicaments, il se laissait approcher, mais pas toucher, c’était un chat errant semi-sauvage. Quand il était fatigué, totalement étendu dans sa cage, il miaulait faiblement son histoire. Son regard en disant plus long encore.
Espérant se tromper, les dames ont amené le minet chez le vétérinaire. Le verdict a été sans appel : aucun espoir d’amélioration n’était à attendre : il cumulait trop de pathologies et il était impossible de le relâcher en comptant le soigner dans la rue… il était condamné. Alors, il a été fait la seule chose qui était encore possible : l’accompagner vers une mort digne.
Vous connaissez le refrain : ce chat a vécu un enfer, celui qui commence quand « on » les abandonne dans la rue, non stérilisés, non identifiés (et pour cause), non vaccinés. Livrés à eux-mêmes.
Cet article a été écrit et publié juste pour que l’on se souvienne d’Ötzi.
Ötzi est le nom qui a été donné à un homme dont la dépouille momifiée a traversé les siècles (3000 ans avant J-C environ, c’est dire). C’est aussi maintenant le nom de ce chat, car chaque année, nous en rencontrons, dans le même état, avec ce même regard, et malgré les robes différentes, on dirait que c’est toujours le même…
Et chaque année, nous sommes désolés de constater que la seule chose encore acceptable, c’est d’accompagner vers la dernière demeure, la dernière heure, dans les meilleures conditions possibles, pour ne pas les laisser crever sur l’asphalte brûlante d’un été caniculaire, à la merci des chiens ou des voitures.
Tu sais Ötzi, tous les jours, nous nous activons, nous essayons d’inverser la tendance, nous travaillons d’arrache-pied, parce que nous n’avons qu’un seul objectif : que cela ne se reproduise plus.
Pour que pour ton peuple, si discret et si maltraité, sorte de l’ombre.