La bonne étoile d’Anoukis – Fin

Cette belle histoire commence il y a un an, au cours d’une matinée quotidienne et ordinaire de nourrissage de chats errants sur l’un des points de la ZUP de Nîmes. Sur place, je rencontre pour la première fois un habitant du quartier, qui lui aussi, donne à manger discrètement aux chats errants, car il a pour eux de la compassion et, plus encore, de l’affection.

Nous lions rapidement amitié et lorsque je lui apprends que je suis membre d’une association de protection animale, il finit par me confier à voix basse qu’il a de la peine de voir tous ces chats et chatons vivre ainsi. Il dit aussi avoir de l’amertume envers ses compatriotes qui n’ont pour les chats aucune considération ni respect, et en particulier leurs enfants, qui se livrent avec eux à des jeux cruels et barbares. On retrouve hélas, souvent, les stigmates de mauvais traitements sur les félins qui ont pu s’en tirer et qui viennent trouver auprès de nous de quoi survivre et un peu d’attention. Je lui indique que nous agissons au mieux pour en stériliser et soigner un maximum, car la plupart d’entre eux sont sauvages et nés dans la rue, alors que d’autres ont été délaissés par leur maîtres et livrés à leur triste sort. Nous tentons alors de leur donner une nouvelle chance dans la vie en les plaçant en famille d’accueil.

Qui n’a jamais participé à un nourrissage de colonie de chats errants ne peut avoir idée du malaise que l’on ressent en voyant venir craintivement jusque sous nos yeux la misère animale brute et sordide telle qu’elle existe ici. Vouloir tous les sauver est irréaliste, et il faut donc se résoudre à aider ceux qui croiseront notre chemin.

anoukis-coucheeEt justement, en poursuivant notre discussion, tout en veillant du coin de l’œil sur les chats afin qu’ils mangent tranquillement, mon interlocuteur m’apprend qu’il a vu, il y a quelques jours, un spécimen handicapé avec seulement trois pattes, qui a trouvé refuge dans le soupirail d’une résidence du quartier. Je décide aussitôt d’aller vérifier avec lui. Effectivement, une fois rendus sur les lieux, nous distinguons une silhouette qui se dessine à l’intérieur de cette bouche d’aération. Placée un peu en hauteur, elle semble nous regarder arriver. L’approcher d’avantage est impossible, car une grille entoure entièrement la résidence, ce qui a malgré tout l’avantage de lui procurer une relative sécurité. Elle seule donc peut décider de quitter cette enceinte pour venir s’aventurer dans le bosquet situé juste en face.

Nous lui servons une ration gourmande que nous déposons dans l’un des buissons qui constituent cet unique point de verdure et nous retirons pour la laisser venir, car elle est visiblement très craintive, mais toutefois assez intriguée et curieuse.

anoukisJe crois que je garderai longtemps en mémoire l’image de sa sortie au grand jour ! Je vois une jolie tête fine de jeune chatte, bien dessinée à la façon des chats égyptiens, le corps élancé. La chatte se déplace péniblement, par à coups et en équilibre constant sur son unique patte arrière, ce qui donne toute la dimension de sa vulnérabilité, mais aussi, curieusement, de sa beauté : les chats ont cette particularité d’être toujours harmonieux et élégants dans leurs attitudes, même atteints d’infirmités ou de maladie, ce qui les rend encore plus touchants. Pour sa patte en moins, était-ce une malformation ou un accident ?

Le constat m’apparait évident et sans appel : elle est totalement incapable de se débrouiller seule et se trouve à la merci du moindre événement néfaste qui ne manquera pas d’arriver, comme une mauvaise rencontre sur son territoire ou, tout aussi délicat, une portée de chatons à nourrir, élever, protéger… ce qui engendrera inévitablement de graves conséquences pour sa santé et sa survie.

Impossible pour elle de trouver des proies et de les chasser pour se nourrir, tout comme pouvoir se défendre et fuir en cas de péril. Elle n’a dû sa survie qu’à la bienveillance « d’anges gardiens ». Je veux parler des ces trop rares habitants anonymes et discrets qui donnent de temps à autre leurs restes de repas ou bien des croquettes bon marché, mais qui participent ainsi, sans véritable certitude, mais avec un secret espoir, à aider des chats qui n’ont plus qu’eux pour rester en vie !

Les renseignements pris auprès du voisinage me permettent de savoir qu’elle est née ici, avec d’autres frères et sœurs. Mais ne reste plus qu’elle maintenant. Elle ne s’aventure jamais au-delà du bosquet et ne se laisse approcher que par une mamie qui lui donne à manger souvent le matin et aussi, depuis peu, par mon aide complice Omar. Elle bénéficie parfois de la surveillance du gardien de la résidence, qui tente d’éviter que des jeunes du quartier viennent renverser ses gamelles, ce qui arrive régulièrement. Mais il faut la protéger de plus grave encore, lorsque ces derniers essayent de « la coincer »…

Pourchasser une chatoune à trois pattes pour la battre et la massacrer, ça occupe et c’est amusant !

Je ne peux me résigner à la laisser là encore plus longtemps. Commence alors une longue période d’observation, d’approche et de mise en confiance qui dure bien six mois, pendant lesquels je viens tous les jours la voir pour lui apporter un « bon » repas à la même heure. Je lui parle doucement pour l’habituer à ma voix, sans jamais chercher à aller trop vite ni trop loin. A ce stade, je ne suis sûr de rien, car elle seule décidera de venir à moi, ou pas. Petit à petit, la crainte laisse place à la curiosité, puis à l’habitude de ma présence. La distance entre nous commence à se réduire. Elle m’attend souvent à l’extérieur de son soupirail et dès qu’elle me voit arriver, son regard se fait plus serein. Enfin, le jour arrive ou elle décide de venir plus près de moi pour me sentir longuement le bas du pantalon, tous ses sens en alerte ! Je reste debout, immobile… Surtout, je ne dois plus bouger ni faire de bruit. Sinon, c’est la fuite assurée. Elle m’inspecte longuement avec ses yeux grands ouverts en me fixant, puis esquisse en s’éloignant un appui furtif de son flanc contre ma cheville. Ce simple mouvement, bien connu des passionnés des chats, indique qu’elle commence à accepter de me considérer non plus comme une menace, mais comme un presque «ami ».

Les semaines suivantes confirment mon sentiment. La chatte se laisse aller de plus en plus et je décide de tenter l’épreuve du toucher en lui présentant simplement ma main tendue vers elle, à sa hauteur, sans rien faire de plus. Elle accepte alors de venir au contact pour me flairer les doigts, puis avance un peu la tête tout doucement pour appuyer en premier le coin du museau, puis la joue. Finalement, elle se frotte timidement, pour ensuite recommencer de l’autre côté en fermant par instants les yeux.

Je suis aux anges, car j’ai enfin réussi à me faire accepter. C’est un bonheur rare que de vivre ce moment où un animal très méfiant et craintif envers les hommes finit par vous donner sa confiance ! Je considère que c’est pour moi, à chaque fois, et je n’ai aucune pudeur à le dire, un véritable cadeau d’une très grande valeur que me fait la nature.

Les jours qui suivent sont marqués par la régularité de son contentement lors de nos retrouvailles matinales. Elle demande son câlin à présent en poussant avec la tête sur ma main pour recevoir ses caresses, qui durent de plus en plus longtemps. Même avec son repas servi sous son nez, elle fait durer son plaisir pour ensuite manger tranquillement entre mes genoux, tout en me tournant le dos. J’en profite alors pour regarder de plus près sa patte manquante, qui ne semble pas être un membre atrophié. Pourtant, aucune plaie n’est visible et elle n’accepte pas que j’essaie de regarder son moignon de plus près.

A présent, elle est en condition pour être capturée. Je sais que l’option du piège ne fonctionnera pas avec elle, car elle est beaucoup trop méfiante pour rentrer dans une boîte sombre et aller y chercher sa nourriture (deux amies des Chats Libres de Nîmes Agglo ont d’ailleurs tenté le coup ! ). Il n’y a qu’une seule façon de réussir sa capture : à la main, rapidement, en la prenant par la peau du cou pour la mettre directement dans la caisse. Facile à dire… mais c’était sans compter sur son comportement face à la peur et sa capacité fulgurante à échapper à une telle situation.

Mes deux tentatives ratent à chaque fois sur le fil et la dernière se solde par quatre belles morsures à la main, ce qui me vaut quinze jours d’antibiotiques et le rappel général de mes vaccins.

Le pire pour moi est de savoir que je devrai tout reprendre à zéro, car une fois trahi, un chat s’en souvient ! Je réussirai à condition aussi qu’elle veuille bien me faire confiance à nouveau…

Mais je ne veux pas baisser les bras et reprends rapidement le cycle matinal comme si de rien n’était. La méfiance s’est installée, et seule la patience, avec beaucoup d’obstination, donnera des résultats.

Six longs mois de plus sont nécessaires pour parvenir aux retrouvailles comme avant. C’est au cours de l’été, avec la chaleur retrouvée qui aide à se sentir plus serein, que cela arrive. Je veux faire vite et profiter du calme des vacances dans les quartiers pour y parvenir pour de bon ! Je ne veux pas la laisser un automne de plus, avec le début des pluies et des nuits froides. Or, mercredi, jour de marché à la ZUP elle ne se montre pas de toute la matinée. Il y a peut-être trop de mouvement ? Entre midi et deux heures, je repasse pour voir : rien ! Je reviens sur les lieux le soir même, en sortant du travail (ce que je ne fais jamais). Enfin, elle est là ! Elle m’attend, affamée, depuis la veille au matin et apparemment, elle est très perturbée. Peut-être a-t-elle été pourchassée de nouveau ? Je charge bien sa ration et me dis en moi même : « Il faut te sortir de là ! Mange bien ma belle, c’est pour demain ta capture ! »

J’arrive à 9 heures, pose la cage ouverte debout, dissimulée contre un arbuste, et l’appelle. Elle sort aussitôt et vient vers moi en m’accueillant avec le miaou de retrouvailles habituel. Alors qu’elle me présente son cou pour recevoir ses caresses, je réalise en un éclair sa prise, sans qu’elle ait le temps de réagir cette fois. Je la fais glisser au fond de la cage comme un ballot de linge en refermant sur elle la grille. J’avoue pousser un ouf de soulagement et de réussite en la voyant dedans, toute étonnée, mais sans réelle panique.

Et c’est le cœur léger et heureux que je l’amène définitivement loin de sa vie de misère, pour qu’elle vive paisiblement, pendant de longues années, à l’abri de tout dans sa famille d’accueil qui l’attend déjà.

Elle s’appelle Anoukis, elle a un an et demi, elle est en bonne santé. Sa patte manquante est la conséquence d’une fracture ouverte du fémur subie dans ses premiers mois de vie (coup, jet de pierre ou piège ?). La patte s’est nécrosée et a fini par tomber d’elle même. L’os s’est ressoudé tout seul en se repliant à angle droit. Elle a échappé par miracle à une hémorragie et une infection généralisée, comme dans la plupart des cas identiques. Elle s’en accommode parfaitement maintenant et se prépare à couler des jours heureux chez Sylvana.

Les chats rêvent souvent, lorsqu’ils dorment profondément : dans ces moments là, peut-être reverra-t-elle un peu de sa vie d’avant en se souvenant des visages de ceux qui l’ont aidée et qui l’ont aimée au point de prendre son destin en main pour lui en offrir un autre !

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERAÉPILOGUE (heureux) !

anoukis-finUne semaine après son arrivée chez Sylvana, la belle profite d’une occasion pour s’échapper de la maison. Ou est-elle partie ? Nous la cherchons tous les jours partout, en vain, et au bout d’un long mois, l’idée d’une disparition définitive ou d’un grand malheur qui aurait pu lui arriver commence lentement à envahir nos esprits et nous tourmenter. Seule, diminuée par son handicap et dans un environnement inconnu, ses chances sont bien minces…

C’était sans compter sur sa bonne étoile… Un jour, mon travail me conduit dans un lotissement récent de la commune. Et là, surprise ! Sous une voiture, je devine une silhouette familière. C’est bien elle ! Tapie et apeurée, mais vivante. Elle se tient, comme toujours, à proximité d’une bouche d’évacuation qui lui sert d’abri et dans laquelle elle s’engouffre à la moindre alerte. La retrouver nous procure un très grand bonheur et du soulagement. Elle aussi nous gratifie très rapidement de son contentement de nous revoir et quelques jours plus tard, une fois un peu plus en confiance et apaisée, elle est ramenée sans difficultés dans son foyer où désormais, elle peut s’ébattre et se prélasser en toute quiétude dans un grand enclos sécurisé « tout confort » qui a été entièrement aménagé et bâti pour elle.

On sait que les chats rêvent souvent lorsqu’ ils dorment profondément : dans ces moments-là, peut être reverra-t-elle un peu de sa vie d’avant en se souvenant des visages de ceux qui l’ont aidée et qui l’ont aimée au point de prendre son destin en main pour lui en offrir un autre ! brillant comme une belle et bonne étoile !

Le 18oct.2013
Pour elle, merci à Omar, Olivia, la petite mamie et le gardien.
Jean-Denis.

 

J-D FIN : Ce soir, ma peine est immense. Heureusement que j’ai pu passer te voir cet après-midi chez le vétérinaire. J’ai compris… J’ai pu te faire longuement un dernier gâté, comme nous les faisions ensemble avant… passionnément, fusionnellement, tête contre tête. Tu m’as reconnu et tu as ronronné comme à chaque fois. Puis tu t’es étendue doucement, déjà à demi partie… Ce soir, tu es passée de l’autre côté, apaisée. Ma jolie Anoukis, tu as été l’un de mes grands moments de bonheur de ma vie, trop vite parti. On s’est aimés et compris dès le premier jour. Tu es à présent pour Sylvana, ta maman, et moi, notre belle étoile pour toujours. Je t’aime ma belle et ne pourrai jamais t’oublier. Le 24 mars 2016.

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