Nous avions commencé à préparer un article il y a trois jours, qui devait s’intituler : « Quatre ans et c’est un grand père ». Nous étions tellement sûrs de parvenir, une fois encore, à insuffler la vie, ne serait-ce que pour nous faire pardonner, nous les hommes, de tout le mal que nous infligeons sur terre aux animaux, aux hommes… Mais le titre de cet article, aujourd’hui, est celui-ci :
À la mémoire du petit tigré qui n’a pas pu être sauvé…
Malgré toute la chaîne qui s’est formée, au sein de l’association, pour venir en aide et soigner les chats en détresse, ce petit tigré des rues âgé de 4 ans s’en est allé ce matin dans son sommeil.
Ses chances de survie et de guérison étaient pourtant réelles, mais le mal a été plus fort que lui et les traitements administrés en urgence n’ont pu le tirer d’affaire.
Ce petit gabarit tout frêle et timide est le parfait exemple de ce que notre association fait au quotidien auprès de ces laissés pour compte dont personne ne se soucie.
Les Chats libres fonctionnent uniquement par la bonne volonté de ses équipes bénévoles et grâce à la compassion et l’amour dont elles sont porteuses.
Nous ne faisons pas de miracles et les échecs sont chaque fois durement ressentis. Mais malgré la peine et la chagrin que nous éprouvons tous régulièrement, je suis fier d’appartenir à cette communauté de cœur et de pensée.
Venir en aide aux chats errants bénévolement tous les jours n’est ni simple ni réellement une partie de plaisir. Agir sous la pluie, au froid et en plein vent est parfois contraignant. MAIS SI NOUS NE LE FAISONS PAS, PERSONNE NE LE FERA !
Ce petit tigré, né sauvage d’une portée incontrôlée, a eu la chance de vivre au sein d’un groupe situé sur un point dont nous nous occupons et que nous protégeons.
Tous les jours, le rituel avec le nourrisseur est identique.
C’est le seul moment où les chats se sentent en confiance, tout en prenant souvent l’unique repas correct de leur journée. Sans cela, ils ne survivraient pas !
Au fil de ces quatre années, ce joli chat, très timide et soumis par rapport aux autres éléments du groupe, a fini par se laisser approcher et caresser. Il avait droit a une attention particulière, afin qu’il parvienne à manger tranquillement à l’écart.
Nous finissons par tous bien les connaître et savoir qui est « régulier », « occasionnel » ou tout nouveau (souvent abandonné depuis peu). Nous avons vite fait de savoir qui manque à l’appel. Nous traitons les petits bobos, stérilisons un maximum et mettons les jeunes chatons à l’abri en famille d’accueil, puis à l’adoption.
Les chats ne montrent que tardivement des signes d’une maladie qui les ronge.
Plusieurs fois le mois dernier, ce petit tigré avait manqué aux rendez-vous du matin, jusqu’à disparaître pendant deux semaines… Quelque chose n’allait pas et lorsqu’il s’est enfin montré lundi dernier, le choc a été violent, car il était méconnaissable.
Du sang séché apparaissait autour de la bouche et autour de l’œil et il était d’une maigreur extrême. Il a réussi à se traîner jusqu’à moi pour miauler faiblement, tout recroquevillé et en grande détresse.
Le temps de lui caresser la joue pour le réconforter et d’aller rapidement chercher ma caisse de transport dans le coffre, il a rebroussé chemin, ne tenant plus au froid et au vent, et est retourné se remettre à l’abri. Il a disparu sous les bâtiments.
Nous savons tous que les chats malades se planquent et attendent ainsi la fin.
C’est seulement le lendemain dans l’après-midi qu’il a été localisé, seul contre un muret, totalement désorienté.
Il a reconnu la voix et s’est laissé prendre sans réelle crainte.
Amené en urgence chez le vétérinaire, celui-ci l’a pesé : 1,800 kg pour 4 ans !
La bouche pleine d’infection et de pus, sans dents, il ne pouvait plus se nourrir tellement il avait mal…
Il était si déshydraté et anémié que le vétérinaire n’a même pas réussi à tirer une goutte de sang pour analyse.
Mis sous perfusion pendant deux jours, il a commencé à reprendre pied et nous avons enfin pu faire les tests, qui étaient bons. Un espoir se dessinait donc, mais il fallait lui ôter les dernières dents qui lui restait et qui étaient pourries.
Au cours de l’intervention, l’ampleur de l’infection de sa mâchoire s’est totalement révélée. Je suis passé pour le voir alors qu’il venait d’être opéré, la mâchoire nettoyée et désinfectée. Il était toujours sous l’effet de l’anesthésie et je lui ai caressé la patte en guise de salut.
Il semblait apaisé pour une fois, mais tellement fragilisé.
Il ne s’est jamais réveillé et s’en est allé ce matin…
Je garde en moi ce long moment de caresses et de gâtés entre mes bras chez le vétérinaire, lors de la première auscultation. Il n’avait pas peur, il connaissait ma voix et savait que je ne lui ferais aucun mal… Cela a duré plus de 20 minutes et je suis sûr que ce fut le seul long moment d’affection partagée de sa courte vie.
Le chagrin est un peu atténué par le fait d’avoir la certitude que nous avons fait tout ce qui était possible de faire pour le soulager et le sauver tant qu’il y avait encore une chance raisonnable d’y parvenir.
Combien de chats déclarés « perdus » et se trouvant dans un état jugé désespéré ont réussi à se rétablir grâce à notre aide, déjouant tous les pronostics et vivant ensuite de longues années en famille ?
Lui, qui pourtant avait un peu plus de chances d’y parvenir, n’a pas survécu.
Le mal qui le rongeait a été plus fort. Peut-être s’est-il senti tellement bien et sans douleur depuis si longtemps dans son sommeil artificiel, qu’il s’est laissé aller pour ne pas revenir à la vie de chat qu’il a connue.
Comment aurait-il pu savoir qu’Adeline l’attendait déjà dans son foyer ?
Nous ne t’oublierons pas, mon petitou !
Jean-Denis, le 19 février 2016